Par un beau jour de printemps, alors que nous étions en train de déjeuner, une voiture s’arrête devant notre propriété. Les occupants débarquent et l’un deux commence à photographier la maison. Ma mère, qui se fait des scénarios dignes d’être "oscarisés", enchaîne quelques répliques qu’il aurait peut-être fallu censurer lorsque les visiteurs poussent l’audace jusqu’à entrer dans notre décor. Il n’en fallait pas plus pour qu’on sorte qui en robe de chambre et d’autres en pyjama pour aller fustiger ces personnes effrontées et sans scrupules qui viennent troubler notre quiétude matinale.
On apprend alors que ces paparazzi d’un jour sont en fait partis de l’Ontario, où ils habitent, pour offrir en guise de cadeau de soixantième anniversaire un retour aux sources à l’une d’entre eux. Celle-ci avait envie de revoir la maison où elle avait grandi.
C’est ainsi qu’elle nous explique que notre humble bungalow des années ’50 avait été le premier à être construit sur la rue et que les membres de sa famille en étaient les premiers résidants. Et comme c’était la coutume à l’époque, la ville de Beaconsfield, octroyait à ladite famille la permission de choisir le nom de la rue sur laquelle la maison avait été érigée. Son père, originaire d’Angleterre, avait donc décidé d’honorer le premier ministre britannique Winston Churchill et de ce fait la Winston Place venait d’être couronnée. Imaginez la tête de ma mère qui venait de passer du scénario de Psychose à celui de The Crown;-)
Quant à moi, votre humble conquérant de l’Ouest-de-l’Île, qui me suis retrouvé quelquefois à brouter de l’herbe dans les fossés adjacents au bitume de notre désormais célèbre propriété, parce que j’avais du mal à demeurer en selle, j’ai eu envie d’en franchir les frontières et d’en apprendre davantage sur notre ville et ses habitants.
Ainsi, le toponyme de Beaconsfield voit le jour en 1876 alors qu’un dénommé Henry Menzies, qui était loin de se douter qu’à une époque plus lointaine, on verrait sur les tablettes des succursales de l’une de nos sociétés d’état des appellations d’origines contrôlées, possédait un vignoble sur le lotissement de la ferme 31. Il surnomma celui-ci «Beaconsfield’s Vineyards» en l’honneur de son ami de l’époque le romancier et Premier Ministre d’Angleterre fait Comte de Beaconsfield par la reine Victoria, Benjamin Disraeli.
Malheureusement, Bacchus ayant entraîné vertigineusement monsieur Menzies dans le fond du baril, sa concession a été vendue à l’encan et acquise par Frank Upton qui entreprit de la transformer en station estivale en 1891. L’endroit devient rapidement un endroit de villégiature pour l’élite montréalaise qui s’offre alors des chalets aux abord du majestueux Lac St-Louis.
Deux décennies plus tard, le nom de « Beaconsfield » est retenu par le maire Joseph Léonide Perron lors de l’incorporation de la municipalité. D’ailleurs, le magistrat élira lui-même domicile dans ce qui est désormais connu aujourd’hui sous le nom de Centennial Hall, avant que sa succession ne le revende au propriétaire et entraîneur de la Sainte-Flanelle, Léo Dandurand en 1940. La maison passera ensuite aux mains de Marian Hall Incorporated qui transformera le site en centre de réforme pour filles. Conséquemment, l’endroit sera récupéré par la municipalité afin d’y loger son personnel administratif avant de le convertir en Centre Culturel en 1967.
Entretemps, l’année 1911 accueillera la construction du boulevard Beaconsfield depuis l’avenue Pointe-Claire jusqu’à la rue Woodland avant de s’étendre jusqu’à Baie d’Urfé en 1913. Aussi, le courant passera entre Beaconsfield et Baie d’Urfé puisque la première fournira l’électricité à la seconde pendant sept ans alors qu’elle aura fait l’acquisition d’une centrale électrique avant de la revendre pour vingt mille dollars à la compagnie « Montreal Light, Heat and Power ».
Par ailleurs, le boom économique suivant la Deuxième Guerre Mondiale profitera au développement de l’Ouest-de-l’Île et Beaconsfield deviendra vite une banlieue prisée. La municipalité sera annexée à celle de Baie d’Urfé de 2002 à 2006 avant que chacune ne retrouve son indépendance dans l’agglomération de la Ville de Montréal.
Aujourd’hui, plus de vingt mille habitants peuplent cette partie de l’Ouest-de-l’Île et leurs enfants, tout comme moi, partiront un jour à l’aventure en passant par la fenêtre de leur chambre pour traverser le rail du Grand Tronc afin d’aller rejoindre leurs amis d’un côté ou de l’autre de notre municipalité.
Toutefois, avis aux intéressés, vos parents sont plus rusés que vous ne le croyez. Alors, évitez d’écraser la talle de muguets ou la plate-bande aux abords de votre chambre à coucher. Elle fait partie du scénario.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Beaconsfield_(Qu%C3%A9bec)
https://www.beaconsfield.ca/fr/notre-ville/portrait-et-histoire/16080-histoire-de-beaconsfield
